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Réponse à Alexandre Adler
L'Angleterre, l'Europe et le multilatéralisme
par Guillaume Larrivé
Cet article a été mis en ligne le 20 août 2003.
L’enquête confiée à Lord Hutton, qui rebondit de jour en jour, devrait tirer au clair l’énigmatique affaire Kelly. Est-ce un mauvais procès fait au Premier ministre britannique et à ses spin doctors, soupçonnés d’avoir tenté de manipuler l’opinion publique britannique pour la convaincre d’approuver la guerre d’Irak ? C’est la thèse d’Alexandre Adler, qui dénonce, dans les colonnes du Figaro des 2 et 3 août 2003, « l’infamie » des accusations portées contre Tony Blair et croit voir dans le débat britannique « l’affrontement de deux Angleterre opposées dans leur stratégie et leurs valeurs ». D’un côté, l’Angleterre de Churchill et des « hommes d’honneur », vertueusement atlantiste, prête à combattre, incarnée par Blair. Et de l’autre, l’Angleterre de Chamberlain, honteusement pacifiste et euro-centrée, regroupant des communistes suicidaires, des antisémites larvés … et le commissaire Chris Patten, « souhaitant larguer les amarres atlantiques pour revenir s’embosser dans le port européen, aux côtés des vaisseaux français et allemand, au terme d’une petite traversée de la Manche ». Cette assimilation est aussi choquante qu’inexacte. C’est faire injure à Chris Patten que de voir en lui l’héritier d’un Chamberlain. Patten est un authentique modéré qui, nourri de valeurs catholiques, croit aux vertus du multilatéralisme et à la légitimité du droit international. Il redoute que les expéditions militaires engagées par une puissance impériale ne fassent qu’aiguiser les tentations terroristes des partisans du choc des civilisations. Il n’en est pas pour autant devenu munichois ! Et son européisme est tout sauf un anti-américanisme : « ne pas être d’accord avec Richard Pearl et Robert Kagan, ce n’est pas être anti-américain » rappelait Patten devant le Parlement européen, au printemps, lorsqu’il exposait ses réticences à l’égard de l’intervention militaire en Irak. Car la comparaison avec les années 30 a ses limites. La menace n’est pas la même : elle était étatique et frontale, elle est devenue multinationale et diffuse. Quant aux enceintes de la coopération internationale, susceptibles de répondre aux menaces, elles ont, elles aussi, profondément changé. Il y a soixante-dix ans, la Société des Nations était un lieu vide et l’Europe minée par le cancer nationaliste. Dans les cinquante dernières années, l’ONU et, à l’échelle régionale, l’UE, ont peu à peu construit une légitimité, non seulement par la production de droit international, mais aussi dans l’action. Vouloir renforcer cette légitimité, en refusant l’unilatéralisme, ce n’est certes pas être lâchement munichois. C’est la façon dont une majorité d’Européens – et, sans doute, une majorité de Britanniques – regardent aujourd’hui le monde. Ce n’est pas renoncer à agir. C’est penser que l’action a besoin d’une légitimité que seules les enceintes multilatérales peuvent conférer. Churchill lui-même, que M. Adler convoque parmi les blairistes, serait-il aujourd’hui aligné sur les positions de l’administration américaine ? Rien n’est moins sûr, lorsqu’on relit le discours qu’il a prononcé à Zurich en 1946 : « les Etats-Unis d’Europe » y étaient présentés comme l’un des « groupements» appelés à modeler le nouveau système international. Et Churchill d’affirmer sa foi dans le multilatéralisme : « ces groupements n'affaiblissent pas mais, au contraire, renforcent l'organisation du monde. En fait ils constituent son principal soutien. » GUILLAUME LARRIVE |
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