De l'Inspection des finances à l'Assemblée nationale et à la présidence de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, Philippe Auberger porte un regard informé et nuancé sur la dialectique de la démocratie et du marché.
Des familles intellectuelles qui composent aujourd'hui la majorité parlementaire, celle de Philippe Auberger croit, plus que d'autres, à la nécessité d'une maîtrise des forces du marché. Non pas, certes, pour restaurer dans la France de 2004 les mécanismes de l'économie administrée et les contraintes d'un Etat omniprésent. Mais bien pour inventer, à l'heure de la mondialisation libérale, les formes d'une nouvelle régulation démocratique. Ce que Philippe Auberger résume d'une formule saisissante : « La démocratie est nécessaire pour imposer à l'économie de marché de dépasser l'immédiat et de respecter le futur ».
On n'est pas loin de l'interrogation que nourrissait Alain Peyrefitte au soir de sa vie, lorsqu'il écrivait, dans son dernier article (*) : « Comment les trois sphères distinctes de l'économie, de la politique et de la culture pourraient-elles suivre une même course, puisque justement chacune fonctionne selon un principe qui lui est propre ? Elles s'entrechoquent en permanence . » Mais dans ce choc, écrivait l'ancien ministre du général de Gaulle, peut être redonné « un espace à la morale : non pas une morale de la dissertation, mais une morale de l'action . ».
C'est à la définition d'une telle morale de l'action que s'attelle Philippe Auberger, à partir d'un constat assez sombre.
A mesure que les forces du marché se répandent, la démocratie représentative parvient de moins à moins à exercer un pouvoir de délibération, de décision et de contrôle. La démocratie s'affaiblit par en bas (avec la montée des autorités administratives indépendantes, démembrant l'Etat) et s'étiole aussi par en haut (en cédant le pas à des organisations multilatérales, comme l'Organisation mondiale du commerce ou le Fonds monétaire international, à la légitimité politique incertaine). Autrement dit : le sort du vaste monde échappe de plus en plus aux élus du suffrage universel.
Mais ce constat est tout sauf un renoncement. Ce n'est pas parce que le monde est complexe, les forces du marché puissantes et les attentes des citoyens contradictoires, que le politique doit accepter de reculer. « Il est temps de réagir si on veut que l'économie reste au service de l'homme et non l'inverse. » Philippe Auberger en appelle à un renouveau démocratique, qui passe par l'invention d'une gouvernance pragmatique. A l'échelle nationale comme sur la scène internationale, il plaide pour de nouvelles formes de contrôle démocratique : « le recours à la démocratie déléguée doit être mieux encadré, la circulation des élites assurée, le pouvoir des groupes de pression et des médias effectivement maîtrisé ». Pour mieux réguler les marchés, et lutter contre la face sombre de la mondialisation, l'urgence est à un retour de la responsabilité politique.
(*) Discours de remise du « prix Tocqueville » à Daniel Bell, paru dans Commentaire, n°88, hiver 1999/2000