Sur le plan des principes, la politique d'aménagement du territoire se trouve confrontée au problème de l'égalité de traitement entre les citoyens et, sur le plan pratique, à la question de l'accès aux services publics.
Les solutions traditionnellement proposées par les pouvoirs publics accordaient un rôle prépondérant au développement des infrastructures ; or, l'évolution actuelle des besoins en ce domaine tend à faire passer au premier plan les problèmes de société. Dans ce contexte, il importe de préciser l'échelon géographique pertinent pour les politiques publiques ; il est également indispensable de définir clairement les conditions permettant de concilier les impératifs techniques et l'exigence accrue de démocratie qui s'exprime dans la société française.
L'opposition entre équité et efficacité doit être dépassée : il est de l'intérêt des citoyens que les pouvoirs publics abandonnent une attitude strictement égalitariste pour favoriser le développement, éventuellement différencié, des diverses parties du territoire. A ce titre, la région Ile-de-France semble devoir bénéficier d'une considération particulière, dans la mesure où son développement économique conditionne celui d'autres zones géographiques. Plus généralement, il est nécessaire de prendre également en compte le risque de « thrombose » des grands centres urbains (Ile-de-France, agglomération lyonnaise, région PACA) tout autant que celui de « sclérose » des régions isolées. Enfin, dans la mesure où les disparités spatiales recouvrent pour l'essentiel des disparités sociales, Jean-Pierre DUPORT juge indispensable une approche avant tout humaine des questions d'aménagement du territoire.
L'expérience acquise à la tête de la DATAR a convaincu Jean-Pierre DUPORT de la nécessité de prendre en compte les tendances de fond qui déterminent l'évolution à long terme du territoire : ce sont les données historiques qui doivent déterminer les choix des pouvoirs publics. Ainsi, le phénomène de l'exode rural, qui, depuis l'immédiat après-guerre jusqu'à la période actuelle, a fait passer la population agricole de 8 millions à 400 000 personnes, doit-il servir de modèle pour anticiper la probable désindustrialisation que la France sera amenée à connaître. Il est, de ce point de vue, indispensable de préparer l'avenir en favorisant dès à présent le développement d'activités de substitution : les mesures en faveur des nouvelles technologies ou du secteur des services cadrent parfaitement avec cet objectif.
Pour produire des résultats tangibles, une politique de cette nature doit être menée à l'échelon local. Se fondant sur son expérience de préfet de la Seine-Saint-Denis, Jean-Pierre DUPORT fait ainsi valoir que l'équilibre économique de nombreuses agglomérations repose de façon quasi exclusive sur la présence d'un pôle industriel unique. Une situation de ce type accroît considérablement les risques liés à une possible délocalisation de l'entreprise qui constitue le pivot de l'économie locale. Il revient en premier lieu au préfet d'anticiper l'évolution de ces activités : il a la tâche de « se tourner vers l'avenir en gérant les problèmes du présent ».
Plus généralement, le travail des pouvoirs publics en matière d'aménagement du territoire doit s'articuler selon trois horizons temporels, appelant chacun un type particulier d'intervention :
Le long terme est le domaine de la prospective, impliquant en premier lieu l'intervention de la DATAR.
A moyen terme, la politique d'aménagement du territoire concerne plus directement la gestion des équipements et des infrastructures ; elle doit se traduire par des schémas d'ensemble (routiers, ferroviaires, universitaires.)
A court terme, les pouvoirs publics doivent privilégier les interventions concrètes, en particulier sur le plan social.
Face à la diversité de ces besoins, divers organismes sont sollicités ; tous, cependant, doivent coordonner leur action afin de contribuer à définir une « stratégie de développement local » cohérente. Cette méthode, impliquant une collaboration relativement étroite entre les autorités locales, l'administration centrale et de nombreux établissements publics, a conduit à des résultats très positifs dans plusieurs domaines de la politique d'aménagement du territoire, notamment en ce qui concerne :
la maîtrise du développement urbain, avec la création des villes nouvelles ;
la mise en valeur des zones rurales proches des grandes agglomérations, pour faire face aux évolutions actuelles du travail et au phénomène de retour vers les campagnes ;
la réorganisation du réseau de transport, permettant de placer à terme toutes les zones du territoire à 30 minutes d'une autoroute et 1 heure d'une connexion ferroviaire ;
le renforcement de pôles culturels importants sur le territoire national, tels que l'opéra de Lyon ou l'orchestre du Capitole dans le domaine musical.
Toutefois, les politiques d'aménagement du territoire conçues sur ce modèle sont aujourd'hui confrontées à de nouveaux défis. Les pouvoirs publics doivent ainsi s'adapter à des exigences nouvelles en matière de communication, telles que le haut débit, afin de permettre la poursuite du développement local. Plus généralement, l'importance des investissements requis pour assurer l'aménagement du territoire devra conduire à un débat politique sur la répartition optimale des crédits : selon Jean-Pierre DUPORT, la nécessité de faire jouer pleinement l'effet de levier lié à la dépense publique exige que soient privilégiés des projets plus ponctuels. Une telle orientation pose cependant avec une acuité particulière le problème de l'évaluation.
Au-delà de ses aspects proprement internes, la politique d'aménagement du territoire se trouve par ailleurs très largement déterminée par des facteurs politiques, économiques et institutionnels qui jouent tant à l'échelle nationale qu'internationale. La décentralisation, d'une part, l'approfondissement des compétences communautaires et les changements de priorités liés à l'élargissement, d'autre part, constituent dès à présent des enjeux majeurs. Le rôle de l'Etat dans le développement des territoires doit donc être redéfini, mais non diminué.
Dans ce contexte, si l'Etat doit limiter son action à la définition prospective des grands objectifs ainsi qu'à la politique fiscale, son intervention demeure toutefois nécessaire. La décentralisation pose en effet dans l'immédiat un problème financier : la répartition très inégale du potentiel fiscal rend indispensable le maintien d'un système efficace de péréquation, dont le fonctionnement ne peut être assuré que par l'Etat. Plus largement, Jean-Pierre DUPORT estime qu'une politique de « discrimination positive » doit être menée à l'échelle nationale en faveur des zones confrontées au plus graves difficultés de développement. Enfin, la définition comme la mise en œuvre des politiques publiques exige des capacités de conception et d'ingénierie qui font souvent défaut à l'échelon local : le montage de projets complexes requiert donc encore la participation des administrations centrales.
L'élargissement et l'approfondissement de l'Union vont également contribuer à modifier la répartition des rôles en matières d'aménagement du territoire. Jean-Pierre DUPORT juge toutefois qu'une réorganisation radicale des compétences exercées par les différents types de collectivités territoriales n'est pas souhaitable : toutes les collectivités publiques ont vocation à traiter les problèmes d'aménagement du territoire, depuis la commune jusqu'à l'Union européenne. Ce n'est donc pas à l'échelle des institutions mais sur le plan pratique que doit être améliorée la coordination de politiques d'aménagement du territoire : la répartition des financements, en particulier dans le cadre des contrats de plan Etat-région, exige une évaluation optimale des besoins ainsi que la coopération de toutes les instances locales. Pour ce faire, l'intervention de l'Etat ne doit pas reléguer au second plan les initiatives locales : c'est avant tout à un rôle d'arbitre que sont appelées les autorités nationales.
Evoquant en conclusion les grands défis auxquels les décideurs publics seront confrontés à moyen terme (intégration, démographie, nouvelles configurations industrielles), Jean-Pierre DUPORT, rappelle que la politique d'aménagement du territoire a pour vocation de transcrire dans l'espace les grandes impulsions politiques. Cette tâche doit cependant être conciliée avec un souci constant des réalités sociale : la politique d'aménagement du territoire trouve en effet sa légitimité dans la persistance des inégalités géographiques et sociales.