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Le 16ème dîner-débat du Cercle :
mercredi 15 d
écembre 2004

René Ricol (*)

président de l'IFAC jusqu'en novembre 2004
et président du cabinet Ricol et Lasteyrie,


autour du thème


"De la comptabilité réformée
à l'information financière déformée ?
"

L'histoire de la relation entre une science "exacte" et une science "sociale"

 

Cette note de présentation a été rédigée par Louise Decaux et Ivan Pavlovic

Le début des années 2000 a été marqué par un krach boursier sur les principales places financières occidentales. Ce krach a été au moins partiellement provoqué par une série de scandales financiers aux origines et aux manifestations diverses (Enron, Worldcom, Parmalat, Vivendi, Tyco), inaugurant une période de défiance à l'égard des marchés boursiers qui se traduit par l'atonie des indices (le CAC 40 étant aujourd'hui à peine à 50% des sommets atteints en 2000), et par une pression constante sur les « émetteurs » pour améliorer quantitativement et qualitativement l'information financière et les documents comptables.

Toutes ces turbulences ont pour la première fois recentré l'attention mondiale sur la comptabilité, devenue un vecteur majeur de l'information financière et de la valorisation des entreprises. René Ricol a contribué à la tête de l'IFAC à réformer les grands principes de la comptabilité, remis en cause par les différents scandales et dont le cadre conceptuel devait être adapté à l'économie du XXI ème siècle. Cette note, volontairement polémique, a pour objectif d'avoir la vision éclairée de René Ricol sur la qualité des réformes qui ont été menées et de susciter le débat.

La crise actuelle des marchés boursiers pose donc avec acuité la question de la nécessaire relation de confiance entre émetteurs (d'actions, d'obligations) et investisseurs fondée sur la transparence de l'ensemble des « signaux » donnés par les premiers aux seconds. Car il faut distinguer l'information financière et comptabilité. D'une certaine manière, on pourrait dire que la première englobe la seconde. Alors que la comptabilité s'inscrit dans une perspective « historique » à travers l'enregistrement de flux (compte de résultat) aboutissant à une situation « patrimoniale » de l'entreprise à l'instant T (bilan), l'information financière donnée par les émetteurs peut s'attacher à des éléments prospectifs permettant aux investisseurs d'évaluer la société émettrice (dans le cadre de méthodes d'évaluation de type DCF) ou à tout autre élément susceptible d'affecter les flux futurs générés par l'entreprise (cas des règles encadrant la production du document de référence en matière de risques financiers, environnementaux).

De la découle la relation conflictuelle entre comptabilité et information financière au sens large. Alors que la première regroupe des techniques ayant vocation à retracer des flux passés, la seconde doit donner une « vision » de l'entreprise. Si la comptabilité est en train d'achever avec plus ou moins de succès sa réforme, il ne semble pas qu'aient été abordés les liens que doivent entretenir la comptabilité, science se voulant exacte, et l'information financière, science subjective. La question est donc double: la comptabilité est-elle désormais en mesure de répondre à son objectif d'évaluation sincère de l'entreprise ? Par ailleurs, peut-on, veut-on, doit-on faire de l'information financière une science exacte afin de faciliter ses interactions avec la comptabilité?

Après les déconvenues des quatre dernières années, il semble que la tendance actuelle vise à vouloir "refaire" de la comptabilité une science exacte et à vouloir "faire" de l'information financière une science exacte. Mais ce que d'aucuns nomment la « réforme de la comptabilité et de l'information financière », au-delà des apparences consensuelles, semble se heurter à des obstacles de fonds majeurs:

1/ Le premier obstacle réside dans la difficulté de mettre en place, dans un contexte de volontarisme mondialiste, une législation et des normes comptables internationales simples, précises et claires: l'harmonisation des normes comptables au niveau mondial est-elle impossible ?

2/ Toutes les réformes mises en place n'ont toujours pas permis de répondre à la question centrale et historique : qu'est ce que la juste valeur d'une entreprise ? Alors que les réformes engagées visent à rendre cette valorisation plus aisée, le rôle des marchés financiers, fluctuants et volatiles, continue de devenir de plus en plus décisif.Ceci traduit la confiance des investisseurs dans la vision du marché plus que dans celle des comptes. La comptabilité, en tant que méthode d'évaluation du patrimoine des entreprises ne se suffit pas à elle-même ; elle doit être interprétée, mise en perspective, de manière bien évidemment subjective. De là découle le travail des analystes financiers, de là découle également le soupçon sur leur indépendance. La récente déconvenue boursière d'Alcatel suite à la publication d'une note d'un analyste actions de Deutsche Bank illustre cette question avec acuité.

3/ Enfin, le dernier obstacle réside dans la difficulté de mettre en place un système de contrôle efficace et garanti des risques: car le risque demeure inhérent à toute activité de marché et semble demeurer difficilement contrôlable : la nouvelle chaîne sécuritaire comptable et financière mise en place dans chaque pays suffira-t-elle à restaurer le moteur de tout marché parfait, à savoir la confiance des investisseurs?

Deux ans passés à la tête de l'IFAC et le lancement de projets de réformes importants permettent-ils de voir l'avenir de la comptabilité et de l'information financière avec plus d'optimisme ?

1. L'impossible harmonisation des normes et droits comptables ?

D'ici 2005, les sociétés cotées européennes devront publier leurs comptes consolidés conformément aux normes comptables internationales (IFRS) et non plus selon les principes comptables nationaux.

Or, s'il est un domaine où régulation et législation s'opposent de plus en plus à la tendance mondialisatrice en la matière, il semble que ce soit la comptabilité et l'information financière. En effet, au-delà des grandes déclarations de principes, le règne à venir imminent des normes IFRS semble être remis en cause par de nombreux pays. Car n'est-il pas normal que le pragmatisme à l'échelle nationale soit tenté de l'emporter sur des principes internationaux complexes dont la mise en ouvre s'avère particulièrement lourde et parfois peu adaptée au contexte de chaque pays ?

Il ne faut en effet pas oublier que les normes comptables ne sont pas simplement des outils techniques mais qu'elles s'incorporent dans des systèmes juridiques nationaux très divers de protection des créanciers, des intérêts généraux, d'information des marchés et de protection de l'épargne. L'idée de normes mondiales s'imposant dans cette diversité, même si elle répond à un besoin du fait du caractère dé-nationalisé des flux et décisions d'investissement, n'est-elle donc pas néanmoins contestable ? Il faut à ce titre reconnaître que l'introduction des IFRS pour les sociétés européennes cotées à partir de 2005 s'inscrit dans la tentative de rapprochement des méthodes comptables avec une valorisation plus prospective du patrimoine de l'entreprise (cas du traitement des survaleurs).

Enfin, les grandes réformes comptables ne semblent-elles pas faire intervenir un nombre trop important d'acteurs (organismes normalisateurs tels que l'IASB et le FASB, organismes divers de régulation, autorités de marché, instances juridiques.) dont les visions, pourtant différentes, ont été compilées dans un ensemble de normes, sans réelle cohérence ni stabilité garanties? En effet, les réformes récurrentes ne semblent-elles pas s'enchaîner au gré des crises financières, ajoutant à chaque fois de nouvelles normes aux normes déjà existantes, générant ainsi une inflation des règles susceptible de désorienter émetteurs et investisseurs.

Il est par ailleurs possible de s'interroger sur les motivations réelles des différents Etats, organismes de régulation et instances juridique qui poussent ces derniers à adopter la réforme des normes: il importe de rappeler que les modifications récurrentes des normes comptables ont été le fruit de conciliations et de mélange d'intérêts divers. Les réforme menées ont semblé résulter d'un certain opportunisme, le marché de la réforme comptable étant un marché indéniablement lucratif pour de nombreux acteurs (des informaticiens aux sociétés de conseils) d'une part, et les intérêts des pays étant différents en fonction de leur intérêt à réformer certains aspects de leur comptabilité. Le nombre des acteurs réformateurs n'est-il pas trop important pour faire passer un message clair à l'opinion publique ? Ceci n'amène-t-il pas à devoir regretter la multiplicité des acteurs de la réforme.et à relativiser la fiabilité des chiffres?

2. Juste valeur d'une entreprise et confiance inébranlable dans la vision du marché

L'introduction des normes comptables IFRS pour les sociétés européennes cotées à partir de 2005 s'inscrit dans la tentative de rapprochement des méthodes comptables avec une valorisation plus prospective du patrimoine de l'entreprise (cas du traitement des survaleurs).

Certes, ces nouvelles informations donneront une vision plus précise et chiffrée des risques et devraient favoriser une comparabilité accrue des entreprises, élément indispensable au bon fonctionnement de marchés financiers « dé-nationalisés ».

Mais il devrait en résulter une volatilité accrue des résultats, volatilité qui dépendra des décisions prises par les entreprises sur la base de leur propre appréciation des normes. Ce passage de la comptabilité « au coût historique » à une comptabilisation « à la juste valeur » davantage axée sur les investisseurs, ne rend-elle pas d'autant difficile la publication d'une information financière « transparente » ? Ne consacre-t-elle pas le rôle majeur du marché financier et de son appréciation subjective de la valeur d'une entreprise ? Les critères de « sincérité » ou de « fidélité d'image » et de « transparence » ne sont-ils donc pas ambigus étant donné l'illusion d'optique produite par la nouvelle présentation des comptes ?

N'aurait-il pas mieux fallu au contraire chercher à séparer comptabilité et finance ? Est-il possible de cloisonner les informations purement comptables, c'est-à-dire les informations enregistrant les opérations passées dans une optique de contrôle de gestion, des informations financières, reposant sur des hypothèses de prévision et d'anticipation des dirigeants? Est-il irréaliste de vouloir séparer les éléments devant être marqués par un principe de sincérité, d'exactitude et de prudence de ceux dépendants d'une vision subjective des dirigeants? En pratique, comment serait-il possible d'isoler information comptable et information financière?

Les réformes en cours devraient en théorie entraîner un rapprochement entre la valeur comptable de l'entreprise et sa valeur de marché. Néanmoins, la valeur du marché, qui dépend de la confiance des investisseurs, ne sera-t-elle pas toujours plus fluctuante que la valorisation interne de l'entreprise? La valeur de marché n'a-t-elle pas pour objectif de se détacher de la valeur comptable, en se fondant sur un élément difficilement quantifiable: la confiance des investisseurs? Nombreux sont ceux qui critiquent l'utilisation systématique de la valeur de marché, mais celle-ci ne reflète-t-elle pas une vision complète, intégrant d'une part les éléments comptables et financiers, d'autre part un jugement sur ces éléments? Ne faut-il pas par ailleurs laisser faire le marché ?

 

3. Une multiplication des contrôles sans maîtrise véritable du risque ?

Outre la réforme des normes comptable, a été engagé un processus de contrôle renforcé de la chaîne des acteurs intervenant dans la diffusion de l'information financière. Des contrôles internes et externes aux entreprises ont été instaurés, par le biais de comités d'audit d'une part et de contrôle des auditeurs d'autre part. Mais ces acteurs sauront-ils désormais présager des crises à venir ?

•  Contrôle des dirigeants et comités d'audit

La loi Sarbanes-Oxley (2002) aux Etats-Unis suivi en France par la loi de Sécurité Financière (LSF) (2003) ont notamment abouti à la mise en place d'un gouvernement d'entreprise renforcé garantissant en principe un contrôle interne accru et une meilleure répartition des pouvoirs au sein de l'entreprise

Si la responsabilité pénale renforcée des dirigeants constitue une mesure drastique, d'autres mesures ne s'avèrent-elles pas avoir un rôle plus formel que réel? Ainsi le renforcement des pouvoirs et de l'indépendance des différents comités, et du comité d'audit en particulier, joue-t-il réellement un rôle dans la maîtrise des risques?

•  Les auditeurs

Partout dans le monde, sous l'impulsion de l'IFAC notamment, en Europe sous le regard de la Commission Européenne, et en France sous l'impulsion de la CNCC et de la COB, le métier d'auditeur s'est réformé. De nombreuses mesures ont par ailleurs été prises pour favoriser l'indépendance des contrôleurs légaux des comptes et des auditeurs, notamment en mettant en place un audit des auditeurs.

L'IFAC a contribué à cette réforme en lançant un projet de refonte de l'architecture des normes internationales d'audit (ISA), projet baptisé projet Clarity, et initié par René Ricol. Ce projet rencontre actuellement l'opposition des Etats-Unis, plus favorables à une approche par les règles qu'à l'approche par les principes soutenue par l'IFAC. Ceci ne témoigne-t-il pas là aussi, au niveau de l'audit, de la difficulté de mettre en place une harmonisation des normes au niveau mondial?

Néanmoins, la réforme des normes IFRS et la confusion qu'elle entraîne entre les données comptables et les données financières ne va-t-elle pas rendre difficile pour les auditeurs de certifier selon des critères comptables ce qui désormais relève de l'évaluation financière dans les comptes d'une entreprise? L'objectivité de leur certification ne risque-t-elle pas d'être remise en question?

Par ailleurs, les entreprises demeurent captives des « Fat Four » et ont un choix limité si elles souhaitent s'adresser à un réseau mondial.Ce choix restreint et les risques que cela entraîne ne devraient-ils pas susciter l'attention des autorités régulatrices ?

Enfin, la transition d'un système comptable basé sur des normes nationales à un système basé sur des normes IFRS est un processus coûteux mais qui s'avère très rentable pour les cabinets d'auditeurs, qui exercent encore ainsi des missions de conseils.N'est-il pas difficile de rétablir la confiance dans un métier où les intérêts sont liés à des questions d'opportunisme ? L'intégrité est-elle garantie?

•  Les agences de notation, les analystes financiers et la presse : quand les oracles énervent.

Par ailleurs, d'autres acteurs demeurent "incontrôlés": derniers mais essentiels dans la chaîne de l'information financière, les agences de notation, les analystes financiers et la presse économique attirent aujourd'hui les foudres des organismes de régulation qui leur reprochent leur absence de rigueur et leur forte capacité à se laisser influencer par des sources d'information non fiables et subjective.

Les agences de notation (Fitch, Moodys, Standard and Poors.) sont vivement critiquées, notamment parce qu'elles évaluent le risque lié aux émetteurs de titre d'endettement en fondant leurs recommandations sur des analyses généralement payées par.l'émetteur, recommandations qui sont ensuite utilisées par les investisseurs.

Les analystes financiers font l'objet d'une attention sans cesse grandissante des régulateurs, témoin le projet de directive européenne visant à garantir leur indépendance en les contraignant à déclarer la relecture de leurs études par les sociétés émettrices concernées avant diffusion. Ce type de réglementation souligne bien la situation inconfortable des analystes financiers, recherchant leurs informations auprès des émetteurs, confrontés à de fréquents conflits d'intérêt avec les autres départements des banques.

En conclusion, il sera possible de se demander, cette fois-ci avec optimisme, si la mise en place des normes IFRS, malgré les limites qu'on aura pu voir, ne répond néanmoins pas à la nouvelle donne économique et financière mondiale mêlant intrinsèquement comptabilité et finance. En effet, une autre façon d'analyser cette réforme ne consiste-t-elle pas à louer la vision futuriste de ceux qui l'ont initié d'une part, et à louer la mise en ouvre d'une réforme qui a néanmoins l'avantage de moderniser l'ensemble du dispositif et qui devrait constituer "un big bang de l'information financière". Elargissant le débat, ne faut-il pas saluer simplement la capacité de réformer de manière rapide que l'on observe dans le domaine économico-financier au niveau européen et international?

A l'opposé, on pourra s'interroger sur les raisons expliquant les raisons pour lesquelles persiste en France, malgré les réformes adoptées, une tradition de faible transparence financière: au-delà des progrès formels, il semble persister une tradition franco-française de relative opacité en la matière: comment y remédier? L'absorption de règles anglo-saxonne fondées sur la prééminence de la substance sur la forme n'est-elle pas de nature à favoriser le respect de l'esprit de la loi plutôt que l'asservissement à sa lettre ?

A titre d'exemple, les entreprises françaises peuvent aujourd'hui choisir librement parmi plusieurs méthodes actuarielles pour calculer leurs charges de retraite, tandis que les IFRS imposent la méthode du crédit projeté unitaire.


(*) Le parcours de René Ricol

 

René Ricol was appointed president of IFAC in November 2002 for a two-year
term. He was a member of IFAC's Board (formerly Council) since 1995 and
served on IFAC's Executive Committee from 1997-2000. In his role as IFAC
President, Mr. Ricol has worked to increase public input into IFAC
activities, spearheaded initiatives to encourage high quality performance
by accountants worldwide, and led efforts to achieve reforms resulting in
the creation of a new Public Interest Oversight Board (PIOB) to be formed
this year.


Mr. Ricol qualified as a member of the French Compagnie Nationale des
Commissaires aux Comptes in 1978 and as a member of the Ordre des Experts
Comptables in 1982. He served as president of each of these bodies during
the years 1985-1989 and 1994-1998, respectively. He is also Honorary
President and a founder member of the Compagnie des Conseils et Experts
Financiers (CCEF).


Mr. Ricol is President of the French accountancy firm Ricol, Lasteyrie and
Associates. He is Honorary President and a founder member of France Défi,
a French network of independent accountants, and of Euro Défi, a European
network of independent accountants, lawyers, and notaries. He also serves
as a legal expert registered with the Supreme Court (Cour de Cassation).


Other activities include his appointment in 1991 by the Prime Minister of
France as President of a study group for the advancement of small and
medium sized businesses, and his role since 1991 as President of the
National Observatory, which manages terms of payment between enterprises.
Mr. Ricol has been honored by the French Government through the award of
Commandeur de l'Ordre National du Mérite (2003) and Officier de la Légion
d'Honneur (2000).


[Source : www.ifac.org]

 

 

 

 

 
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