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La laïcité de 1905 dans la France de 2005
Rencontre avec Jean Sévillia
journaliste au Figaro Magazine,
auteur auteur de Quand les catholiques étaient hors la loi , Perrin, 2005
Note d'introduction au débat du 23 mars 2005,
par Anne Coffinier, Cédric de Lestrange et Charles-Edouard Levillain
L'essai de Jean Sévillia intitulé Quand les catholiques étaient hors la loi (2005) a une portée à la fois pédagogique et polémique. Pédagogique parce qu'il s'agit de resituer les récents débats sur la laïcité dans une perspective historique, en revenant notamment sur le contexte mouvementé de la loi de séparation de 1905. Polémique au sens où l'auteur pose la question du statut des catholiques en république : question brûlante il y a un siècle et aujourd'hui occultée, selon l'auteur, par la prédominance du problème de l'islam. Le titre de l'ouvrage de Jean Sévillia se veut un brin provoquant, laissant penser que l'auteur parle autant en historien qu'en moraliste, pour ne pas dire en pamphlétaire. Techniquement, en effet, les catholiques ont été « hors la loi » entre la constitution civile du clergé (1790), que le Saint-Siège refusa de reconnaître, et le Concordat de 1802 accompagné de ses articles organiques. Quant à la loi de 1905, elle consista précisément à amender la loi applicable aux catholiques, au prix de souffrances, de sacrifices et d'humiliations. Il faut peut-être en déduire que la loi dont parle Jean Sévillia est davantage une loi morale qu'un ensemble de normes de droit positif. Cette remarquable capacité à combiner la méthode de l'historien à celle du moraliste ouvre de nombreuses perspectives qui devraient aisément nourrir le débat. L'essai de Jean Sévillia soulève de nombreux problèmes qui, en liaison avec le livre d'entretien de Nicolas Sarkozy, [1] devraient permettre d'articuler le débat autour de deux principaux axes : quels termes pour quels concepts ? quels concepts pour quels modèles ? 1) Quels termes pour quels concepts ? En bonne méthode, il paraît essentiel de commencer par la question de la terminologie employée. On connaît la distinction entre laïcisation, laïcisme et laïcité. Définie par Ferdinand Buisson en 1883, la laïcisation désigne un processus historique marqué par un affranchissement progressif des institutions publiques de la tutelle de l'Eglise. [2] Le laïcisme désigne la laïcité de combat et la laïcité la neutralité confessionnelle. Mais on notera d'emblée que les termes « laïque » et « laïcité » ne sont pas définis par le droit malgré le nombre de textes législatifs et réglementaires qui font de la France ce que la Constitution du 4 octobre 1958 appelle une « République laïque ». Il y a une deuxième distinction qui appelle une clarification : celle qui peut exister entre religion, spiritualité et spiritualisme. Jean Sévillia rappelle que certaines figures républicaines de la fin du XIX e siècle, comme Jules Simon, alliaient anti-cléricalisme et spiritualisme. C'est en ce sens que Jules Simon proposa l'amendement suivant (finalement rejeté) à ce qui devint la loi Ferry du 16 juin 1881 : « Les maîtres enseigneront à leurs élèves leurs devoirs envers Dieu et la patrie » (Jean Sévillia p.73). Il est intéressant de noter que Nicolas Sarkozy évite l'écueil de la distinction entre spiritualité et spiritualisme en préférant parler du « spirituel » (p.15) ou, expression en forme d'asyndète, de « fait spirituel » (p.30). C'est là une curiosité de langage qui, comme la notion de « fait religieux », mérite réflexion : le « fait » renvoie à la matérialité des choses alors que l'esprit, au sens étymologique, renvoie à un souffle, à une sorte d'inspiration qui peut venir soit de la religion (spiritualité), soit de la république (spiritualisme). La notion désormais répandue de « fait religieux » (voir le rapport Debray) [3] appelle une même interrogation : une religion étant difficile à concevoir sans spiritualité, le « fait religieux » ne va-t-il pas dans le sens d'un aplatissement de ce qui, précisément, fait l'essence du religieux ? Même si le savoir est préférable à l'ignorance, ira-t-on jusqu'à enseigner l'histoire des religions comme on raconte la mythologie gréco-latine ? Bien plus, le trait dominant de notre époque serait-il une spiritualité sans religion et/ou un fait religieux sans spiritualité ? Existerait-il, en somme, une volonté de briser le lien a priori insécable entre religion et spiritualité ? 2) Quels concepts pour quels modèles ? Ces glissements de sens n'ont rien d'un jeu rhétorique. Ils posent la question fondamentale d'un modèle laïque français qui a une histoire et une identité propres. Le principal objet de l'essai de Jean Sévillia est de « faire œuvre de vérité historique » (p.20) en rappelant avec force que la laïcité française fut avant tout une laïcité de combat dirigée contre les catholiques - ces catholiques soupçonnés, même après les lois scolaires des années 1880 et le Ralliement de 1892, de vouloir saper les fondements de la III e République par cet instrument privilégié de pouvoir et d'influence qu'était l'enseignement. Sur la loi de séparation de 1905, deux écoles s'opposent : certains historiens y voient une mesure d'apaisement, incarnée par la modération d'un Aristide Briand ; d'autres, au contraire, une mesure de confrontation soutenue par un clan laïcard violemment anti-clérical. Tout en revenant sur les violences anti-catholiques qui ont accompagné le début des inventaires (1906), Jean Sévillia propose une analyse équilibrée de la loi de 1905, que l'on pourrait situer à la croisée de ces deux courants d'interprétation : « Ignorant l'idée de Dieu », observe-t-il, « l'Etat récuse dorénavant toute dimension spirituelle, la rejetant dans la sphère privée. Au sens littéral, l'Etat laïque est un Etat athée » (p.228). Peut-on dire alors, comme Jean Sévillia, que l'Etat laïque est un « Etat athée » ? Faut-il voir dans cette expression l'équivalent de ce que Aristide Briand appelait un « Etat areligieux » ? Par « Etat athée », Jean Sévillia entend ce que l'on appelle aussi la « neutralité confessionnelle ». Mais neutralité ne veut pas dire indifférence, ne serait-ce que parce que certaines confessions, comme l'islam, ignorent la séparation entre le spirituel et le temporel. A cela s'ajoute, selon Jean Sévillia, le retour depuis une vingtaine d'années d'un « laïcisme agressif » (p.289) qui dérogerait à la tradition d'une laïcité d'apaisement. Pris entre ces mouvements contradictoires, les catholiques continueraient à être victimes de l'incompréhension des pouvoirs publics, ces catholiques qui, selon Jean Sévillia, « n'ont pas dit leur dernier mot » (p.299). L'origine chrétienne de l'idée de laïcité donne-t-elle aux catholiques une responsabilité singulière dans les débats politico-religieux qui ont cours en France aujourd'hui ? Le modèle prôné par Nicolas Sarkozy est celui d'une laïcité d'engagement visant à revaloriser le « fait spirituel » en société et à intégrer l'islam en république. Le grand danger, selon Nicolas Sarkozy, viendrait d'un islam qui se développe en France contre la république. C'est en ce sens qu'il propose de favoriser un islam de France qui se développe dans le giron de la république. C'est là un point essentiel du débat : Jean Sévillia voit dans la démarche de Nicolas Sarkozy une contradiction fondamentale avec l'esprit de l'islam, pour lequel « rien n'échappe à l'autorité de la religion » (p.284). Il sera évidemment intéressant de demander à Jean Sévillia d'approfondir sa pensée sur cette question. Quel modèle paraît le plus adapté à la montée en force de l'islam ? L'Etat athée de 1905, le « néo-concordatisme gallican » (l'expression est de Cédric de Lestrange) de Nicolas Sarkozy, ou l'affirmation du primat historique du catholicisme ? Il restera enfin à parler de l'Europe. Le préambule de la Constitution européenne parle des « héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe ». Jean Sévillia y voit une négation des origines chrétiennes de l'Europe (p.292). On pourrait même ajouter en songeant aux pères fondateurs de l'Europe communautaire : négation des origines chrétiennes de l'idée d'Europe. Par ailleurs, on notera que le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l'Union (partie II) parle du « patrimoine spirituel et moral de l'Union », en référence aux « valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité ». « Patrimoine spirituel et moral » : est-ce à dire que le spirituel est devenu le dénominateur commun d'une Europe pluriconfessionnelle, à l'image de cette France réconciliée avec elle-même dont rêve Nicolas Sarkozy ? La question mérite d'être posée.
[1] Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l'espérance , (Paris, 2004). [2] Pour ce sujet, voir Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison , (Paris, 2005), pp.14-16. [3] Régis Debray, L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque (2002). Régis Debray préconise un enseignement du fait religieux qui devienne en quelque sorte un appendice de l'instruction civique.
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