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Cinq lectures de La Spore

Une critique du roman de Pierre-François Mourier, La Spore,
Editions de la Table Ronde, 331 p., janvier 2005

par Guillaume Larrivé


 

 

 

Pour qui ne se rappelle pas avoir rencontré ce mot depuis le cours de sciences naturelles donné aux classes de troisième, le titre du roman de Pierre-François Mourier laisse songeur. Qu'est-ce qu'une spore ? L'ami Littré, dont ce n'était pas vraiment la spécialité, répond ainsi : «  Terme de botanique. Corpuscule reproducteur des plantes cryptogames, dit par d'autres séminule. » (*) Certes. Que le lecteur de Commentaire se rassure, toutefois. Ce n'est pas d'un traité de botanique que nous comptons lui parler, mais du premier roman d'un honnête homme.

Mourier, depuis une dizaine d'années, promène sa silhouette de normalien fumeur de pipe dans divers lieux où, à Paris, on s'efforce de traiter des affaires publiques. Il prêta sa plume, hier, à un homme politique arrivé, par deux fois, au sommet de l'Olympe républicain. Il est, aujourd'hui, le pilier d'un think tank cherchant l'innovation politique ailleurs qu'à gauche. Il est, aussi, l'un des scribes du Palais-Royal, que les enfants du I er arrondissement regardent avec étonnement, à travers les fenêtres, quand ils viennent s'égailler, dès 16 heures 35, autour des colonnes de Buren (les enfants, pas les scribes !). Lorsqu'on a consacré sa jeunesse à traduire du latin et que, au seuil de la quarantaine, on passe ses journées à polir une prochaine décision du Conseil d'Etat sur la légalité d'un arrêt d'une cour d'appel annulant un jugement de tribunal administratif rejetant un recours pour excès de pouvoir contre le permis de construire une usine d'élevage de dindons à Saint-Baldec-les-Eaux ( sic ), ses soirées à parler politique et ses nuits à écrire des romans, on ne peut être fondamentalement mauvais. On est même un type bien, en l'espèce.

Dans La Spore , pourtant, il est d'abord question du Mal. Pour le dire en quatre lignes : une sale bestiole sporique grouille depuis Cro-Magnon dans les caboches de pauvres humains. Ici et maintenant, une bande de chics copains, amoureux de la connaissance, se rend compte des ravages de la chose et s'efforce de la combattre, par tous les moyens de l'esprit. In fine . vous découvrirez que la fin de l'histoire, c'est peut-être la fin de l'Histoire. Car La Spore est un regard sur la condition humaine, la difficulté à vivre en recherchant la vie bonne, l'angoisse de l'échec. L'espoir, aussi - mais sans mièvrerie. «  Tout a toujours très mal marché  », disait Bainville. Nous croyons que Mourier n'est pas loin de le penser, même si ses dernières pages s'ouvrent vers un horizon qu'on ne peut certes pas qualifier de progressiste (le vilain mot !) mais peut-être, quand même, parce qu'il faut bien vivre à défaut de vivre bien, d'optimiste. A l'envers de la spore, le repos dans le jardin d'une nouvelle création ? C'est là une possible lecture, historique, de cet audacieux roman.

Une autre lecture, tout aussi réjouissante, est celle d'un polar intello. Signalons d'ailleurs que les libraires de La Hune , à Saint-Germain, ont classé Mourier à côté du Da Vinci Code et de la Série Noire. On pense à des Dix petits nègres qui auraient été réécrits par un bibliophile doublé d'un cinéphile. De chapitre en chapitre, le lecteur est pris par une intrigue qui l'emmène des Plaines d'Abraham à la Judée, de la Rome antique au New York post-9/11 . On croise Cicéron, Himmler, un évêque médiéval, un pauvre hère de Saint-Nazaire. Il y a du beau monde et de l'immonde. Le sang gicle assez souvent. 

Troisième lecture possible : celle, mezzo voce , qui accueille tout simplement le plaisir des mots. Mourier écrit bien, voilà tout. La Spore n'est pas sans parenté avec les Exercices de style de Queneau. Pseudo-paléographe, l'écrivain nous propose des textes exhumés de son imagination. Il parle parfois comme une statue du Louvre, parfois comme Zazie. Ce n'est pas banal et c'est bien agréable.

Quatrième lecture, à l'attention du microcosme cher à M. Barre : le roman à clefs. Qu'il nous soit permis, sans en dire plus, de mettre l'accent sur l'étonnant chapitre intitulé Immunité présidentielle. Et d'applaudir au portrait, plus vrai que nature, d'un Paul-Henri Chataubriand, figure familière du degré zéro de la vie politique française. Paul-Henri est, pour nous, le petit cousin du Clérences que Drieu campe dans Gilles  : un médiocre démagogue égaré dans des années terribles, prêt à perdre son âme. Il est, surtout, le frère de quelques professionnels accessoires de la politique contemporaine, obsédés par le temps médiatique, incapables de penser autrement qu'en regardant un sondage, esclaves de la vulgarité télévisuelle : bref, un homme d'avenir. 

Une dernière lecture est peut-être la plus belle, quoique la plus indirecte : La Spore est un hommage aux filles et aux femmes, qui ne connaissent pas la spore. Mourier fait, ici, penser au regard qu'Albert Cohen portait sur elles dans Belle du Seigneur. Ce n'est pas le moindre de ses mérites.

 

Guillaume Larrivé

 

(*) Paul-Emile Littré, Dictionnaire de la langue française , tome 4, Editions du Cap, Monte-Carlo, 1968

 

 

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