Le compte rendu de l'intervention de François Villeroy de Galhau devant le Cercle, ci-dessous, a été rédigé par Anne Coffinier-Barry et n'a pas été relu par M. Villeroy de Galhau. Ce texte n'engage donc pas notre hôte.
I. L'enseignement social de l'Eglise : un trésor inestimable pour aujourd'hui
M. Villeroy de Galhau a tout d'abord resitué la doctrine sociale de l'Eglise - ou enseignement social de l'Eglise , relatif à la royauté sociale du Christ (ie la vocation de Dieu à régner non seulement sur les individus mais aussi sur les sociétés). Fondé sur des bases évangéliques à validité éternelle, l'enseignement social de l'Eglise est récent, puisque les premières encycliques du Pape sur ce sujet datent de la fin du XVIIIème siècle, et sont marquées par un contexte historique fort : la Révolution française chez la fille aînée de l'Eglise, le Ralliement. Cet enseignement est donc en partie historiquement marqué. Il est difficile d'accès et est toujours resté assez confidentiel.
Et pourtant « c'est un trésor » pour notre temps, que nous avons intérêt, que nous soyons chrétiens ou non, à revisiter (cf. bibliographie).
La doctrine sociale de l'Eglise repose sur deux piliers, selon M. Villeroy de Galhau :
- 1. la dignité absolue de la personne humaine (cf. l'humanisme, sauf que l'homme est, dans la vision chrétienne, à l'image de Dieu, et que c'est cela qui lui donne une valeur. infinie)
- 2. la solidarité (cf. la condamnation répétée de l'individualisme)
A ces deux fondements se rattachent des grands principes tels :
- la subsidiarité (cf. Quadragesimo anno )
- la priorité du travail sur le capital (cf. Laborem exercens ), qui s'oppose à la doxa triomphante aujourd'hui qui théorise le capital et le travail comme deux facteurs de production parfaitement substituables.
- la destination universelle des biens , qui constitue une relativisation de la propriété privée (attention : la propriété privée, corollaire de l'autonomie de la personne, a été affirmée à temps et à contretemps par l'Eglise ; en revanche, l'enseignement social invite le propriétaire à faire servir au bien commun ce qui lui appartient en propre.)
- la nécessité d'une autorité publique de compétence universelle pour maintenir la paix dans un monde de plus en plus mondialisé (cf. Jean XXIII Pacem in terris , 1963). L'Eglise a été un des précurseurs de la reconnaissance d'un besoin de régulation mondiale.
- la dénonciation de l'économisme ambiant : oui à l'économie (de marché) comme moyen, non à l'économie comme finalité. (cf. Alexandre Dumas : « l'argent est un bon serviteur et un très mauvais maître. »)
- la dénonciation de toutes les idéologies , des « ismes » qui se trompent sur la finalité de l'homme (cf. Mater et Magistra)
II. Le chrétien en situation de responsabilité : la nécessité de prendre des risques
Le chrétien, témoin du Christ dans l'entreprise ou dans un ministère par exemple, doit se poser quotidiennement la question de la compatibilité des décisions qu'il va prendre avec sa foi. Il doit considérer l'ensemble de ses activités au regard de quatre degrés d'exigence :
- 1. humilité : non pas réellement l'oubli de soi mais plutôt le respect des autres ; l'autorité (qui est une nécessité pour conduire une société à faire aboutir son projet) doit être vécue comme un service et non comme un pouvoir.
- 2. vérité : s'il ne s'agit pas de dire tout ce que l'on pense des gens et des situations, au moins faut-il s'abstenir absolument de propos que l'on ne pense pas. Il est en outre des occasions où il est bon de dire ce que l'on pense d'une situation ou d'une personne, même si c'est délicat. Pour ceux qui sont dans la ligne de mire des médias, l'exigence de vérité est chose difficile. Pour les hauts fonctionnaires, le statut protecteur permet à qui en a le courage de rester libre de défendre la vérité sans mettre son revenu en péril.
- 3. finalité du travail : évaluer dans quelle mesure le travail que j'effectue me rend « participant » à la création, si je contribue à bâtir ou à détruire, à améliorer le monde ou à l'avilir. Il est crucial de faire cet effort de juger de l'infime rôle qui est le nôtre au regard de la finalité du tout dans lequel il s'intègre. Ainsi Charles Péguy résume-t-il cette nécessité par la fable des trois fossoyeurs interrogés sur leur activité : le premier dit, d'un air contrarié, creuser un trou ; le second, plus paisiblement, creuser des fondations, et le troisième, visiblement plus heureux, bâtir une cathédrale.
- 4. liberté par rapport au travail : il convient de distinguer l'important (généralement une partie du travail) de l'essentiel (la famille, la foi.). Le travail n'est pas le tout de l'homme.
F. Villeroy de Galhau a insisté fortement sur la nécessité qu'il y avait à prendre le risque de la décision , afin de ne pas être « ceux qui ont les mains propres mais qui n'ont pas de mains. » La perfection chrétienne ne consiste pas à ne point commettre d'erreurs, auquel cas la vie en chrétien dans le siècle serait impossible. C'est un grave contresens de croire qu'il y a plus de grandeur chrétienne à se tenir à l'écart des prises de décision. Ce n'est pas parce que l'on a un idéal que l'on doit renoncer à l'action ! C'est exactement le contraire !
Pour finir, M. Villeroy de Galhau a cité trois exemples de personnes qui ont cherché à suivre l'enseignement social de l'Eglise : Robert Schumann (qui disait « être un instrument dans la main de la Providence »), Michel Camdessus (qui chercha à travailler à l'émergence d'un monde plus efficace et plus juste, dans le droit fil de Mater et Magistra ), Olivier Lecerf (qui, au sujet de l'exercice de l'autorité, conseillait de ne pas réagir à l'excès aux succès et échecs mais de les accueillir avec abandon).
Extraits des
QUESTIONS -REPONSES :
Q. Y a -t-il un catholicisme de gauche ? /R. La religion relève de l'essentiel tandis que la couleur politique appartient au domaine de l'important .
Q. N'y a -t-il pas contradiction à diriger une entreprise qui contribue assez directement au surendettement des ménages ? / R. C'est une question que l'on m'a très souvent posée. Tout métier a ses déviations. Je crois que le crédit est nécessaire à la croissance économique, qu'il y a place en France pour développer le crédit, si l'on compare avec d'autres pays développés. L'entreprise de crédit n'a de surcroît pas intérêt à accorder des crédits à des ménages qui seront dans l'incapacité de rembourser : elle peut donc même être un acteur crédible de la lutte contre le surendettement.
Q. Que pensez-vous de l'attitude du gouvernement relative à la mention des bases chrétiennes de l'Europe dans la Constitution européenne ? R/ Personnellement, j'en suis désolé. Il y a un vrai problème français. Il faut sortir par le haut de la sécularisation. En France, nous avons une mauvaise conception de la laïcité, selon laquelle la religion devrait être confinée à la sphère privée. En France, parler de Dieu, c'est obscène. Le fait est qu'il y a une pluralité de religions en France. Parlons-en tout simplement. Moins il y a de convictions religieuses qui s'expriment, plus l'économisme gagne et l'économie en vient à remplir le tout du projet social.
Q. Quid de l'endettement public élevé de la France au regard de la solidarité intergénérationnelle ? R/ Actuellement, tout joue contre la jeunesse, dont le poids électoral baisse significativement. L'endettement public constitue un lourd transfert de charge. De surcroît, je ne crois pas au déficit public pour stimuler la croissance aujourd'hui. Mais aucun homme politique n'a fait du surendettement public un thème essentiel de son discours . Nous avons tous un devoir de pédagogie à ce sujet. A ce problème s'ajoute la langueur européenne . C'est d'une politique de l'offre (en économie et en politique !) que nous avons besoin !
Q. Etes vous favorable à l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne ? R/ J'y suis opposé. Sa présence compliquerait beaucoup la construction du projet politique européen . Les discours sur ce sujet relèvent souvent d'une logique frisant l'absurde : ce n'est tout de même pas parce que la Turquie n'est pas chrétienne qu'elle aurait par là-même vocation à entrer dans l'Union européenne.
M. Villeroy de Galhau s'est dit préoccupé de la langueur européenne, qui tranchait avec l'élan américain. Les Américains se voient un destin , et se sentent acteurs d'un projet politique. Nous sommes paralysés, incertains de notre identité et de notre projet. Le premier rôle d'un chef est justement de donner le sens de projet et de faire partager la foi en ce projet . Le plus grand risque qui nous menace, nous les Européens, c'est de ne plus croire en rien. Les buts de la Construction européenne de paix et prospérité ont été atteints. Aujourd'hui, il s'agit de parvenir à réaliser le plein emploi dans le cadre du modèle social européen. Il s'agit aussi pour les Européens de construire la paix et la prospérité dans l'espace de responsabilité européen (Afrique, Europe de l'est.)