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Compte-rendu du débat
avec Jean-Luc Warsmann (*) :
quelle réforme de la justice ?

par Patrick Loustalet

 

Le dîner-débat autour de Jean-Luc Warsmann s'est tenu le 5 novembre 2003. Il a été animé par Boris Ravignon, ancien élève de l'ENA et de l'ESSEC, inspecteur des Finances. La note ci-dessous, rédigée par Patrick Loustalet, n'a pas été relue par le conférencier.

Pour Jean-Luc Warsmann, le travail entrepris en 2002 et 2003 sur l'organisation de la justice en France, avec notamment les lois Perben et Sarkozy, constitue la réforme la plus importante réalisée depuis 1958.

L'analyse de Jean-Luc Warsmann se fonde sur les travaux qu'il a menés sur les peines alternatives à la détention, les courtes peines de prison et la préparation des détenus à la sortie de prison, dans le cadre d'une mission qui lui a été confiée par le Garde des sceaux en novembre 2002.

Le constat général dressé à la suite de cinq mois de mission met en exergue la difficulté d'application de la justice en France du fait de la saturation à plusieurs niveaux de la chaîne judiciaire, et la nécessité de prendre un certain nombre de mesures permettant d'améliorer la qualité et la rapidité de la réponse pénale.

I - Une chaîne judiciaire dans une situation préoccupante, et incapable de faire face à une augmentation du nombre de faits de délinquance.

Jean Luc Warsmann explique qu'entre 1997 et 2002, alors que le nombre de faits constatés s'accroissait de 3,5 millions à 4 millions, on constate sur la fin de cette période une baisse du volume d'affaires traitées par les tribunaux qui atteint environ 550 000 par an en 2002. Ce déclin est accentué par la baisse du nombre d'affaires élucidées (ie pouvant donner lieu à des poursuites), mettant ainsi le système judiciaire français dans une capacité de plus en plus réduite à rendre et appliquer la justice. Dans une période marquée par un sentiment d'insécurité fort, où les effectifs de police se voient par ailleurs renforcés, cette situation conduit à accroître le sentiment d'impunité et la perte de confiance de la population et des victimes vis-à-vis de la justice.

Ce constat peut être analysé plus précisément à tous les niveaux de la chaîne judiciaire depuis la constatation du fait, à l'application de la peine, en passant par la convocation devant le juge et le jugement de l'affaire. On constate non seulement une augmentation des délais de traitement à tous les niveaux, mais également des dysfonctionnements qui peuvent avoir comme conséquence de rendre inefficace et incohérent le fonctionnement global du système.

a) Des délais de traitement qui s'allongent

A la suite de la constatation des faits relevant de poursuites, les modes de convocation rapide, largement utilisés dans la plupart des cas pour permettre en théorie une action efficace et rapide de la justice, souffrent de délais importants entre la notification au délinquant et l'audience au tribunal. Ainsi, les délais de convocation par procès verbal d'officier de police judiciaire sont en moyenne de 7 mois, les délais par citation directe devant le tribunal correctionnel étant aux alentours de 24 mois à 3 ans.

L'enregistrement de la décision du tribunal, qui donne lieu à l'inscription au casier judiciaire et permet de déclencher le processus de mise à exécution de la peine, est également réalisé dans un délai assez long de 7 mois en moyenne. Cela conduit à ce que des prévenus puissent être jugés par un tribunal sans que celui-ci ait conscience de leurs antécédents si ceux-ci remontent à une date postérieure à ce délai, cela posant en particulier problème pour le suivi des peines de prisons avec sursis.

La mise à exécution des peines montre également des signes de faiblesse inquiétants et ce, pour l'ensemble des types de sanctions :

•  dans le cas d'une amende infligée par un tribunal, la mise la exécution de la peine qui consiste au recouvrement de l'amende par le Trésor Public peut prendre en moyenne 8 mois, pour un taux de recouvrement faible de 20%. Le cas des jours amende (le prévenu doit acquitter tous les jours une somme forfaitaire donnée sous peine, en cas de non paiement sur la totalité de la durée, d'effectuer le délai restant à couvrir en prison), les délais sont en généralement plus importants, du fait du passage obligatoire devant un juge d'application des peines.

•  les travaux d'intérêt général, qui comptent pour 16 000 peines prononcées par an, sont confrontés à la difficulté d'obtention d'un rendez avec le conseiller d'insertion probation (en charge du placement et du suivi de la peine) souvent supérieur à 1 an. Il arrive que les peines de travaux d'intérêt général ne soient plus applicables entièrement, dans la mesure où la loi fixe un délai maximal à leur exécution complète de 18 mois.

•  L'emprisonnement avec sursis est souvent handicapé par la lenteur avec laquelle la prise en charge du condamné est effectuée, avec une moyenne d'une prise en charge par conseiller d'insertion probation tous les 4 mois.

•  Les peines de prison souffrent d'un manque de visibilité sur la peine prononcée. Du fait des délais importants de traitement, les peines inférieures à 1 an, qui, avant exécution, donnent lieu à la relaxe du prévenu, font que celui-ci est contacté bien souvent plusieurs mois après son jugement, et peut se trouver dans une situation dans laquelle ses conditions de vie ont sensiblement évolué par rapport au moment où le jugement avait été prononcé, rendant difficile l'acceptation d'une sanction pour une faute remontant à plusieurs années. Du fait des différentes remises de peines (amnistie du 14 juillet, réduction de peine suite à bonne conduite du prisonnier..), des peines non encore exécutées ou en cours d'exécution peuvent voir leur durée sensiblement réduite. Il est par exemple assez fréquent de voir des peines de 2 -3 ans de prison réduites à quelques mois par ces différents mécanismes.

Ces différents retards dans la chaîne judiciaire rendent l'application de la justice peu efficace et incohérente.

b) Une réponse pénale peu efficace par rapports aux objectifs recherchés

Jean Luc Warsmann insiste sur le fait que le système judiciaire est aujourd'hui doté d'une variété d'outils juridiques et de sanctions qui pourraient permettre de permettre de faire face au traitement d'un plus grand nombre de délits dans des délais plus courts. Cependant, une mauvaise organisation du système judiciaire ne permet pas un recours adapté à chacun de ses moyens pour faire face à la délinquance.

Face à l'engorgement des tribunaux, la loi a donné aux tribunaux des moyens d'agir souples connus sous le nom de troisième voie, comme le rappel à la loi par les officiers de police judiciaire qui représentent près de la moitié des alternatives aux poursuites (130 000 par an sur 260 000 par an). Cependant, une sur-utilisation de ce moyen pour classer des affaires qui nécessiteraient des poursuites, a conduit à ce que la loi du 23 juin 1999 instaure la composition pénale, réponse plus forte, où le procureur de la République intervient et propose une transaction à l'auteur du fait constaté dans un certain nombre de cas légers souvent qualifiés de « délinquance urbaine ».

Cependant, d'autres peines comme les travaux d'intérêt général, la prison avec sursis, ou la prison ferme ne remplissent que faiblement les objectifs qui leur sont assignés. Les travaux d'intérêt général sont souvent confrontés à une faible diversité des tâches proposées dans la mesure où ils concernent majoritairement les travaux de voirie et d'espaces verts, ainsi qu'à une faiblesse du suivi et du contrôle de la réalisation de la peine par le condamné (en dessous de 40 h, aucun contrôle d'exécution n'est effectué). Les tribunaux y ont donc de moins en moins recours. L'application des peines avec sursis est rendu difficile par les retards d'exécution, qui peuvent parfois avoir pour conséquences la réalisation d'enquêtes pour retrouver les condamnés ayant changé d'adresse. L'exécution des peines de prison doit par ailleurs faire face à la saturation des maisons d'arrêts, dans lesquelles on trouve non seulement les individus dangereux, mais aussi la quasi-totalité des courtes peines de prison. L'organisation de la journée pénitentiaire et le manque d'effectifs ne favorise pas les activités d'éducation ou d'apprentissage chez les détenus et donc leur réinsertion à la sortie de prison. Indicateur peu regardé jusqu'à présent, on constate aujourd'hui que le taux de récidive après la sortie de prison atteint aujourd'hui 40 à 60 %.

Face à ce taux élevé, la libération conditionnelle, dans la mesure où elle met une pression sur le détenu libéré à ne pas commettre de nouveau délit, pourrait être une piste intéressante. Cependant, dans les faits, le recours à la libération conditionnelle est relativement faible et peut dans certains cas être inefficace. Le système judiciaire y a en effet peu intérêt, dans la mesure cette mesure, qui nécessite un passage devant un conseiller d'insertion probation et un suivi du prévenu après sa sortie, présente un risque pour celui qui la prend (le fait qu'il existe un risque que le condamné libéré conditionnel puisse récidiver n'incite pas le juge à prendre une telle décision). Avec les différents mécanismes de remises de peine, le prisonnier peut préférer refuser la liberté conditionnelle et attendre sa sortie définitive dont la date sera avancée. Même si les conditions de libération conditionnelle ont été simplifiées avec la loi du 15 juin 2000 et ne nécessitent plus l'accord du ministre, elles sont aujourd'hui en baisse (seulement 5000 en 2002).

Enfin, les placements extérieurs, qui consistent à placer le condamné dans des structures externes à la prison (associations, centres de désintoxication.) sont également en baisse.

Jean Luc Warsmann indique que face à un nombre de délits en augmentation, une mauvaise gestion des solutions de réponse pénale laisse se développer un sentiment d'impunité chez les délinquants. Il convient donc d'accroître le taux de réponse pénale, par un meilleur équilibre entre les différentes réponses à apporter aux faits constatés, en permettant la diminution des délais de traitement, en baissant la saturation des services et des tribunaux, et en donnant les moyens à la justice d'agir.

 

II - Un besoin de réformes permettant d'apporter une continuité et une qualité dans l'action de la justice.

Parmi les mesures proposées par Jean Luc Warsmann dans son rapport, figure notamment le fait de redonner une crédibilité aux mesures non privatives de liberté. Il conviendrait de redéfinir le contenu des audiences pénales qui pourraient permettre d'appliquer sur-le-champ les décisions de justice, sous réserve d'un délai d'appel.

Tout d'abord, il serait important de redonner une importance à l'audience, moment fort de la procédure pénale, qui permet de mieux faire comprendre au prévenu la portée de la décision. Lors de la convocation, le prévenu pourrait donc devoir acquitter un dépôt qu'il perdrait en cas d'absence non justifiée à l'audience.

Parmi les mesures permettant de raccourcir les délais de traitement de la justice, Jean Luc Warsmann propose par exemple l'édition d'un titre permettant de payer l'amende avec une réduction de 30 % si le paiement est instantané, ou d'une convocation remise immédiatement après l'audience auprès d'un service chargé de mettre en place le travail d'intérêt général.

Par ailleurs, le développement de procédures simplifiées de comparution immédiate pourrait également concourir à cet objectif. La procédure complète n'aurait lieu qu'en cas de contestation du prévenu. Un plan d'urgence serait également nécessaire pour renforcer les greffes des tribunaux qui travaillent encore sur papier.

Les courtes peines de prison devraient ensuite être exécutées de manière plus adaptée. Ainsi, si la maison d'arrêt est la réponse adéquate pour les individus dangereux, elle ne l'est pas pour la majorité des condamnés (perte de travail, difficulté de réinsertion.). Ce système coûte également cher, dans la mesure où un placement en maison d'arrêt coûte par personne 60 € par jour, un placement en semi-liberté 30 € par jour, et un placement sous surveillance électronique 22 € par jour. Il conviendrait donc de développer d'autres formes de sanctions comme le placement en semi liberté (avec la nécessité d'un plan de réalisation de 5000 place de semi liberté en France), le placement extérieur, ou la surveillance électronique (développement de 3000 places effectives pour 2005).

De plus, la lutte contre la récidive pourrait être engagée en limitant le nombre de sorties sèches de prison, et en privilégiant dans les trois ou six derniers mois d'une peine de prison la semi-liberté ou le placement soit sous surveillance électronique, soit en chantier extérieur. Ces solutions présentent en effet l'avantage de mettre une pression sur le détenu libéré pour ne pas récidiver, et lui permettent de mieux préparer sa réinsertion.

Ces mesures devraient être accompagnées d'un accroissement des effectifs de magistrats, et de la rénovation des services d'insertion probation.

En matière de lutte contre la criminalité organisée, le système français est aujourd'hui inefficace. Jean Luc Warsmann explique ainsi que, bien souvent, des affaires complexes et nécessitant des compétences particulières sont à la charge de parquets locaux, qui n'ont pas les moyens et l'expertise adéquats pour les traiter efficacement (par exemple : l'affaire de l'Erika est aujourd'hui traitée dans au parquet de Brest avec deux juges locaux). Il pourrait être envisagé de confier ces missions à des parquets spécialisés, à l'image des parquets antiterroristes. Dans ces affaires, les moyens de surveillances des individus, les recours à la prolongation de la détention provisoire, et à la sonorisation ou l'infiltration de groupes de personnes (sous contrôle du juge), pourraient être développés.

 

 

 

(*) Né en 1965 dans les Ardennes, Jean-Luc Warsmann a été élu conseiller municipal de Douzy dès 1989. Député suppléant en 1993, il devient à 30 ans le benjamin de l'Assemblée nationale lorsqu'il succède à son député en 1995. Dans le contexte de la dissolution de l'Assemblée nationale, Jean-Luc Warsmann est réélu en 1997, puis en 2002 dès le premier tour avec 58% des suffrages. Il est entre-temps devenu maire de Douzy en 1995 et conseiller général en 1996.

 

 

 
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